MINISTÈRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
UNIVERSITÉ MOULOUD MAMMERI, TIZI-OUZOU
FACULTÉ DES LETTRES ET DES LANGUES
DÉPARTEMENT LANGUE ET CULTURE AMAZIGHES
Filière : Langue et Civilisation
Spécialité: Anthropologie du Patrimoine et de la Culture Amazighes
Module : Anthropologie du Patrimoine
Niveau : Master 1
Cours 3 : Introduction des sciences dans la construction d’un objet patrimonial : L’exemple de l’ethnologie comme un métier du patrimoine.
Introduction :
L’émergence du patrimoine culturel immatériel (PCI) dans les politiques culturelles contemporaines a profondément transformé le rôle de l’ethnologie. Longtemps centrée sur l’observation et l’analyse scientifique des cultures humaines, cette discipline se voit désormais investie dans des missions institutionnelles liées à la reconnaissance, à la documentation et à la transmission des pratiques culturelles vivantes. L’article de Christian Hottin explore précisément cette mutation en soulignant que le PCI constitue un tournant majeur : il rapproche l’ethnologie du champ patrimonial et soulève la question de savoir si l’ethnologue est devenu, aujourd’hui, un véritable professionnel du patrimoine.
1. Le patrimoine immatériel : une nouvelle scène pour l’ethnologie
La Convention de l’UNESCO de 2003 marque une rupture importante dans la manière de concevoir le patrimoine. En élargissant le champ patrimonial aux pratiques vivantes — rites, savoir-faire, fêtes, traditions orales, elle reconnaît une dimension culturelle que l’ethnologie étudie depuis longtemps. Ainsi, un espace d’intersection se crée entre institutions patrimoniales et experts du terrain ethnographique. Le PCI exige non seulement de comprendre les pratiques, mais surtout d’en saisir les significations internes, les dynamiques sociales et les modes de transmission, des compétences qui relèvent du cœur méthodologique de l’ethnologie.
2. Le rôle croissant de l’ethnologue dans les mécanismes institutionnels
L’article montre clairement que l’ethnologue n’est plus un observateur distant : il devient un acteur sollicité par les institutions culturelles. Son expertise est essentielle pour mener des enquêtes approfondies auprès des communautés praticiennes ; produire des inventaires du PCI ; rédiger des dossiers de candidature ; participer à des comités de sélection ; accompagner l’expression des savoirs locaux.
Dans cette perspective, l’ethnologue occupe une position d’interface entre mondes sociaux distincts. Il traduit les pratiques culturelles dans un langage administratif et institutionnel, tout en relayant aux communautés les enjeux et limites du processus patrimonial. Cette fonction de médiation transforme profondément son identité professionnelle.
3. Les tensions entre logique anthropologique et logique patrimoniale :
Hottin met en lumière plusieurs tensions inhérentes à la patrimonialisation de l’immatériel. D’une part, l’institution patrimoniale simplifie et normalise les pratiques pour les rendre compatibles avec ses cadres d’action. D’autre part, les pratiques vivantes sont, par nature, dynamiques, fluctuantes et négociées au quotidien par ceux qui les portent. Entre ces deux logiques, l’ethnologue doit naviguer avec prudence.
Cette tension se manifeste notamment dans les formats imposés pour les inventaires et dossiers : ils exigent une description stabilisée, parfois figée, d’une pratique qui, dans la réalité, se transforme constamment. L’ethnologue devient donc garant d’un équilibre fragile : préserver la complexité des pratiques tout en satisfaisant les attentes institutionnelles. Il doit aussi prévenir les dérives fréquentes de la patrimonialisation, telles que la folklorisation, la mise en spectacle ou la réinvention artificielle d’une tradition au profit d’intérêts extérieurs aux communautés.
4. L’éthique et la participation :
L’un des apports majeurs de l’analyse de Hottin est de rappeler que le PCI repose sur la participation active des communautés porteuses. Or, dans la pratique, cette participation est souvent partielle, sélective ou encadrée par des impératifs institutionnels. Certaines voix sont plus audibles que d’autres, certains acteurs plus reconnus, certaines pratiques plus valorisées. L’ethnologue occupe alors un rôle critique : il doit garantir que la parole des porteurs ne soit ni confisquée ni instrumentalisée.
Cette responsabilité exige une forte vigilance éthique. L’anthropologue engagé dans la patrimonialisation doit constamment interroger sa propre position : Est-il un observateur ? Un conseiller ? Un médiateur ? Un expert mandaté par l’État ? Le texte de Hottin nous montre que cette pluralité de rôles redéfinit profondément la posture même du chercheur.
Conclusion :
Le PCI a ouvert un nouvel espace professionnel dans lequel l’ethnologie joue un rôle fondamental. La discipline, autrefois perçue comme scientifique et externe aux institutions patrimoniales, devient aujourd’hui un outil indispensable pour comprendre, documenter et préserver les pratiques culturelles vivantes. L’ethnologue n’est plus seulement un chercheur : il devient un acteur du patrimoine, immergé dans les processus administratifs, politiques et communautaires.
Cette évolution représente à la fois une opportunité — reconnaissance, professionnalisation, visibilité — et un défi méthodologique et éthique. Elle invite à repenser la discipline dans sa relation à l’action publique. L’ethnologie, désormais située au cœur des politiques culturelles, s’affirme comme un métier hybride, critique et engagé, façonnant à la fois la compréhension et l’avenir du patrimoine immatériel.
Référence :
- Hottin, Christian. L’ethnologie, un métier du patrimoine ? Réflexions autour de la question du patrimoine culturel immatériel, In Situ, n°30, OpenEdition Journals, 2016.
- Gaetano Ciarcia, Inventaire du patrimoine immatériel en France. Du recensement à la critique, n°3, Les carnets du Lahic, 2007.
- Sarah Andrieu et Anaïs Leblon, Ethnographier et valoriser les espaces du patrimoine en Afrique, Journal des africanistes, 88-2 | 2018, 60-74.
- Enseignant: Nawal HADI
